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Si huevon, un pirigüín!
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Si huevon, un pirigüín!
13 août 2006

Chap 4 : Au fil des rencontres "El mundo se esta volviendo loco"

Emma : "Nosotros aqui no vivimos, sobrevivimos"*

Grâce à mon jeune âge, ma naïveté et ma curiosité, j’arrive à faire parler les gens sur des sujets plus ou moins délicats. Autour d’un thé, Emma m’explique alors quelles sont les conditions dans lesquelles elle vit ici, à Santiago, avec son mari et sa petite fille.

"Si no trabajas, te quedas en la calle"*. Au Chili, tout est privé; les écoles, les universités, la santé, les toilettes dans la rue,…C’est ce qu’on appelle le néolibéralisme. Tout s’achète et tout se vend. Dans mon quartier, on vend de l’éducation. On vend de l’éducation, en gros ou au détail, de toutes les qualités et caractéristiques possibles. Chaque commerçant s’efforce de séduire un maximum de jeunes, et toutes les propagandes et campagnes de publicité sont abusivement utilisées. Ainsi, non seulement c’est payant, mais c’est très cher. P8200017Si tu ne disposes pas d’assez d’argent, tu n’iras pas à l’école ou bien tu ne termineras pas tes études. Si tu ne vas pas ou peu à l’école, tu n’obtiendras qu’un travail peu rémunéré, si tant est que tu trouves un travail. Tu gagneras alors 120 000 $ soit 173 € par mois…et ne compte pas sur de potentielles aides de l’état. Ton unique source de revenu sera ton salaire. Vous me direz que le prix de la vie étant cinq fois moindre qu’en France par exemple, le pouvoir d’achat reste le même et les proportions sont conservés. Ce n’est pas le cas. Vous me direz que je parle ici d’une minorité de chiliens, du quart le plus pauvre. Non, je parle ici du peuple chilien, de la majorité des habitants, de la classe moyenne. "Imaginate !"*

L’état se désintéresse des gens et Emma se désintéresse de l’état. "No estoy inscrita en las listas de voto, no me interesa"*.

Vicho, son mari, déplore aussi cette situation et avoue "en mi vida, nunca he votado"*. Eh oui, ici, la problématique de la responsabilité citoyenne, des droits et des devoirs de l’homme prend une toute autre tournure.

"Los chilenos prefieren mirar hacia el pasado que hacia el futuro"*

Darwin : Un de mes colocataires, mon préféré, ami de la famille de longue date.

P8280001La première fois que j’ai eu l’occasion de lui parler fut un matin au petit déjeuner. Je me préparais un thé, il sortait de sa douche et m’offrait avec insistance un de ses paquets de gâteaux à la noix de coco et m’apportait du pain, du jambon et du fromage pour que nous prenions le petit déjeuner ensemble. D’emblée, il me raconta les moments forts de sa vie, non sans sentir les larmes lui monter aux yeux. Il a 34 ans, assez grand, maigre, a perdu l’amour de sa vie qui est partie avec une femme, a perdu son père quand il avait une vingtaine d’années, est tombé dans une dépression, n’a pas pu terminer ses études d’ingénieur, est aujourd’hui chef de la sécurité d’un supermarché, et gagne 135 000 $ par mois soit 195 €. Il est anarchiste communiste révolutionnaire. Il me déballa tout d’un coup, s’excusant d’être aussi direct et argumentant que je devais savoir tout ça pour le connaître et le comprendre. Notre conversation a été écourtée par les activités quotidiennes de chacun, puis a repris son cours dans la soirée. Il me fit goûter le Pisco Sour, une liqueur à base de citron très agréable, autour de laquelle il m’expliqua ce à quoi il croit et pour quelles raisons il y croit aussi fort. Son père était un militaire, "comando paracaidista"*, au service de l’état pendant la dictature. Lorsque Pinochet laissa le pouvoir (si on considère qu'il a effectivement laissé le pouvoir...), il fut torturé puis exécuté. Alors que son grand frère, nationaliste nazi, marche dans les traces de son père, Darwin a pris la direction opposée. Il fait partie du mouvement skinhead, écoute du punk rock, porte le A des anarchistes sur ses vêtements, a les cheveux rasés à 5 millimètres, participe aux manifestations révolutionnaires et apprécie particulièP8120039rement "las bombas Molotov".  Il dénonce avec véhémence la stigmatisation et la marginalisation. Mais en l’écoutant parler, ce qui est frappant n’est pas l’extrémisme de ses idées révolutionnaires mais son extrême fragilité, sa douceur et sa souffrance. Conversation à nouveau coupée par un ami de la famille, un papi qui me présente son petit fils de 4 ans, en me disant "el, es toda mi vida ahora"*. C’est un grand chanteur, un ténor et il a chanté une jolie chanson en italien, à la Pavarotti, rien que pour moi, en me regardant dans les yeux. Il a du y lire un mélange de gêne, de surprise et d’admiration. "Que fuerte !"*

Il est un peu tard, je prend congé, non sans que Darwin me prête ses documents sur l’anarchisme, le communisme, le socialisme et le mouvement skinhead pour que je comprenne mieux et que je ne fasse plus de confusions maladroites.

musique7 Et pendant ce temps-là à Providencia...pendant que j’écris ces lignes, assise à une terrasse de café au soleil, juste devant le Cerro San Cristobal (Mont St Christophe), deux jeunes chiliennes se posent devant moi, et s’épilent les sourcils et la moustache.  musique7

Graciela : jeune employée par une université, coordinatrice de la carrière d’éco tourisme.

P9030002"Aqui esta frecuente que uno trabaje en areas muy ajenas de sus estudios"*. Le chômage, le manque de débouchés…conséquences de quoi finalement ? de la croissance économique ? du capitalisme ? Ces thèmes, prépondérants dans les discussions des étudiants et des jeunes actifs les inquiètent. Beaucoup plus que la jeunesse française, à ce que j’en connais. Le rêve de Graciela ? Venir s’installer en France pour de bon, ou elle a déjà vécu 4 ans. Elle apprécie son pays, mais préfère la France.

Michel : étudiant en sociologie, 25 ans

Michel, (prononcer Mitchel) est fier de son pays et surtout de la culture de son pays. Il m’explique que les Mapuches, ancienne tribu indigène, sont la seule ethnie qui ait résisté à l’invasion et à la colonisation espagnole. Il me conseille de visiter le musée des Beaux Arts, la ville artisanale de Pomaire et de lire les poèmes de Pablo Neruda, qu’il adore. Aussi curieux que moi, nous conversons sur son pays et le mien et sur des dizaines d’autres sujets. Il a soif de voyage, mais ne peut pas bouger avant d’avoir terminé ses études et d’avoir gagné un peu d’argent. Paris le fait rêver, "sobretodo le Louvre" dit-il avec son accent chilien, en buvant une gorgée de la bouteille de cerveza Escudo que nous partagions. C’est son anniversaire aujourd’hui. "Cumpleaños feliz Michel !"*

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